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et s’amusa de voir couler son sang. Quand il riait, il découvrait des dents très blanches ; il lécha plaisamment sa blessure ; sa langue était rose comme celle d’un chat. Ah ! qu’il se portait bien ! C’était là ce dont je m’éprenais en lui : la santé. La santé de ce petit corps était belle.

Le jour suivant, il apporta des billes. Il voulut me faire jouer. Marceline n’était pas là ; elle m’eût retenu. J’hésitai, regardai Bachir ; le petit me saisit le bras, me mit les billes dans la main, me força. Je m’essoufflais beaucoup à me baisser, mais j’essayai de jouer quand même. Le plaisir de Bachir me charmait. Enfin je n’en pus plus. J’étais en nage. Je rejetai les billes et me laissai tomber dans un fauteuil. Bachir, un peu troublé, me regardait.

– Malade ? dit-il gentiment ; le timbre de sa voix était exquis. Marceline rentra.

– Emmène-le, lui dis-je ; je suis fatigué, ce matin.

Quelques heures après, j’eus un crache-