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journées !… Marceline est auprès de moi. Elle lit ; elle coud ; elle écrit. Je ne fais rien. Je la regarde. Ô Marceline ! Marceline !… Je regarde. Je vois le soleil ; je vois l’ombre ; je vois la ligne de l’ombre se déplacer ; j’ai si peu à penser, que je l’observe. Je suis encore très faible ; je respire très mal ; tout me fatigue, même lire ; d’ailleurs que lire ? Être, m’occupe assez.


Un matin, Marceline entre en riant :

– Je t’amène un ami, dit-elle ; et je vois entrer derrière elle un petit Arabe au teint brun. Il s’appelle Bachir, a de grands yeux silencieux qui me regardent. Je suis plutôt un peu gêné, et cette gêne déjà me fatigue ; je ne dis rien, parais fâché. L’enfant, devant la froideur de mon accueil, se déconcerte, se retourne vers Marceline, et, avec un mouvement de grâce animale et câline, se blottit contre elle, lui prend la main, l’embrasse avec un geste qui découvre ses bras nus. Je remarque qu’il est tout nu sous sa mince