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L'IMMORALISTE

qu’alors chaque occupation, en l’accroissant, m’en distrayait. Le loisir obligé du bord me permettait enfin de réfléchir. C’était, me semblait-il, pour la première fois.

Pour la première fois aussi je consentais d’être privé longtemps de mon travail. Je ne m’étais accordé jusqu’alors que de courtes vacances. Un voyage en Espagne avec mon père, peu de temps après la mort de ma mère, avait, il est vrai, duré plus d’un mois ; un autre, en Allemagne, six semaines ; d’autres encore — mais c’étaient des voyages d’études ; mon père ne s’y distrayait point de ses recherches très précises ; moi, sitôt que je ne l’y suivais plus je lisais. Et pourtant, à peine avions-nous quitté Marseille, divers souvenirs de Grenade et de Séville me revinrent, de ciel plus pur, d’ombres plus franches, de fêtes, de rires et de chants. Voilà, ce que nous allons retrouver, pensai-je. Je montai sur le pont du navire et regardai Marseille s’écarter.