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le repas ; mais tout paraît mauvais à Marceline et je ne peux la décider à rien prendre. Nous avons emporté de quoi faire du thé. Je m’occupe à ces soins dérisoires. Nous nous contentons, pour dîner, de quelques gâteaux secs et de ce thé, auquel l’eau salée du pays a donné son goût détestable.

Par un dernier semblant de vertu, je reste jusqu’au soir près d’elle. Et soudain je me sens comme à bout de forces moi-même. O goût de cendres ! Ô lassitude ! Tristesse du surhumain effort ! J’ose à peine la regarder ; je sais trop que mes yeux, au lieu de chercher son regard, iront affreusement se fixer sur les trous noirs de ses narines ; l’expression de son visage souffrant est atroce. Elle non plus ne me regarde pas. Je sens, comme si je la touchais, son angoisse. Elle tousse beaucoup ; puis s’endort. Par moments un frisson brusque la secoue.

La nuit pourrait être mauvaise et, avant qu’il ne soit trop tard, je veux savoir à qui je pourrais m’adresser. Je sors. Devant la