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pleine de livres, et que, durant tout le voyage, je n’ouvris pas même une fois.

Je n’admettais pas que Marceline s’occupât de nos dépenses, ni tentât de les modérer. Qu’elles fussent excessives, certes, je le savais, et qu’elles ne pourraient durer. Je cessais de compter sur l’argent de la Morinière ; elle ne rapportait plus rien et Bocage écrivait qu’il ne trouvait pas d’acquéreur. Mais toute considération d’avenir n’aboutissait qu’à me faire dépenser davantage. Ah ! qu’aurais-je besoin de tant, une fois seul !… pensais-je, et j’observais, plein d’angoisse et d’attente, diminuer, plus vite encore que ma fortune, la frêle vie de Marceline.

Bien qu’elle se reposât sur moi de tous les soins, ces déplacements précipités la fatiguaient ; mais ce qui la fatiguait davantage, j’ose bien à présent me l’avouer, c’était la peur de ma pensée.

– Je vois bien, me dit-elle un jour, – je comprends bien votre doctrine – car c’est une doctrine à présent. Elle est belle,