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nuit. J’admirais l’herbe plus mouvante et plus haute, les arbres épaissis. La nuit creusait tout, éloignait, faisait le sol distant et toute surface profonde. Le plus uni sentier paraissait dangereux. On sentait s’éveiller partout ce qui vivait d’une existence ténébreuse.

– Où ton père te croit-il à présent ?

– À garder les bêtes, à l’étable.

Alcide couchait là, je le savais, tout près des pigeons et des poules ; comme on l’y enfermait le soir, il sortait par un trou du toit ; il gardait dans ses vêtements une chaude odeur de poulaille…

Puis brusquement, et sitôt le gibier récolté, il fonçait dans la nuit comme dans une trappe, sans un geste d’adieu, sans même me dire à demain. Je savais qu’avant de rentrer dans la ferme où les chiens, pour lui, se taisaient, il retrouvait le petit Heurtevent et lui remettait sa provende. Mais où ? C’est ce que mon désir ne pouvait arriver à surprendre : menaces, ruses échouèrent ; les