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– Et la mère ? Elle ne dit rien ?

– La mère ! voilà douze ans pleins qu’elle est morte… Il la battait.

– Combien sont-ils dans la famille ?

– Cinq enfants. Vous avez vu l’aîné des fils et le plus jeune. Il y en a encore un de seize ans, qui n’est pas fort, et qui veut se faire curé. Et puis la fille aînée a déjà deux enfants du père…

Et j’appris peu à peu bien d’autres choses, qui faisaient de la maison Heurtevent un lieu brûlant, à l’odeur forte, autour duquel, quoi que j’en eusse, mon imagination, comme une mouche à viande, tournoyait : – Un soir, le fils aîné tenta, de violer une jeune servante ; et comme elle se débattait, le père intervenant aida son fils, et de ses mains énormes la contint ; cependant que le second fils, à l’étage au-dessus, continuait tendrement ses prières, et que le cadet, témoin du drame, s’amusait. Pour ce qui est du viol, je me figure qu’il n’avait pas été bien difficile, car Bute racontait encore que,