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l’absence de toute surenchère, j’avais dû lui laisser la coupe à très bas prix ; aussi, sûr d’y trouver toujours son compte, se pressait-il fort peu de débiter un bois qu’il avait payé si peu cher. Et, de semaine en semaine, il différait le travail, prétextant une fois l’absence d’ouvriers, une autre fois le mauvais temps, puis un cheval malade, des prestations, d’autres travaux… que sais-je ? Si bien qu’au milieu de l’été rien n’était encore enlevé.

Ce qui, l’an précédent, m’eût irrité au plus haut point, cette année me laissait assez calme ; je ne me dissimulais pas le tort que Heurtevent me faisait ; mais ces bois ainsi dévastés étaient beaux, et je m’y promenais avec plaisir, épiant, surveillant le gibier, surprenant les vipères, et parfois, m’asseyant longuement sur un des troncs couchés qui semblait vivre encore et par ses plaies jetait quelques vertes brindilles.

Puis, tout à coup, vers le milieu de la première quinzaine d’août, Heurtevent se