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les gens que j’y employais ; et pour les fréquenter, la présence de Charles allait être gênante. Il était bien trop raisonnable et se faisait trop respecter. Donc, malgré la vive émotion qu’éveillait en moi son souvenir, je voyais approcher son retour avec crainte.

Il revint. – Ah ! que j’avais raison de craindre et que Ménalque faisait bien de renier tout souvenir ! – Je vis entrer, à la place de Charles, un absurde Monsieur, coiffé d’un ridicule chapeau melon. Dieu ! qu’il était changé ! Gêné, contraint, je tâchai pourtant de ne pas répondre avec trop de froideur à la joie qu’il montrait de me revoir ; mais même cette joie me déplut ; elle était gauche et ne me parut pas sincère. Je l’avais reçu dans le salon, et, comme il était tard, je ne distinguais pas bien son visage ; mais, quand on apporta la lampe, je vis avec dégoût qu’il avait laissé pousser ses favoris.

L’entretien, ce soir-là, fut plutôt morne ; puis, comme je savais qu’il serait sans cesse sur les fermes, j’évitai, durant près de huit