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– Votre fils Charles ne doit-il pas bientôt revenir ? me décidai-je à demander après un instant de silence.

– Je pensais que Monsieur l’avait oublié, à voir comme il s’inquiétait peu après lui, dit Bocage encore blessé.

– Moi, l’oublier, Bocage ! et comment le pourrais-je, après tout ce que nous avons fait ensemble l’an passé ? Je compte même beaucoup sur lui pour les fermes…

– Monsieur est bien bon. Charles doit revenir dans huit jours.

– Allons, j’en suis heureux, Bocage ; – et je le congédiai.

Bocage avait presque raison : je n’avais certes pas oublié Charles, mais je ne me souciais plus de lui que fort peu. Comment expliquer qu’après une camaraderie si fougueuse, je ne sentisse plus à son égard qu’une chagrine incuriosité ? C’est que mes goûts n’étaient plus ceux de l’an passé. Mes deux fermes, il me fallait me l’avouer, ne m’intéressaient plus autant que