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un patron tout choisi. Il y a pourtant, je le crois, d’autres choses à lire, dans l’homme. On n’ose pas. On n’ose pas tourner la page. – Lois de l’imitation ; je les appelle : lois de la peur. On a peur de se trouver seul : et l’on ne se trouve pas du tout. Cette agoraphobie morale m’est odieuse ; c’est la pire des lâchetés. Pourtant c’est toujours seul qu’on invente. Mais qui cherche ici d’inventer ? Ce que l’on sent en soi de différent, c’est précisément ce que l’on possède de rare, ce qui fait à chacun sa valeur – et c’est là ce que l’on tâche de supprimer. On imite. Et l’on prétend aimer la vie.

Je laissais Ménalque parler ; ce qu’il disait, c’était précisément ce que le mois d’avant, moi, je disais à Marceline ; et j’aurais donc dû l’approuver. Pourquoi, par quelle lâcheté l’interrompis-je, et lui dis-je, imitant Marceline, la phrase mot pour mot par laquelle elle m’avait alors interrompu : – Vous ne pouvez pourtant, cher Ménalque, demander à chacun de différer de tous les autres…