Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


– Ils se ressemblent tous, lui disais-je. Chacun fait double emploi. Quand je parle à l’un d’eux, il me semble que je parle à plusieurs.

– Mais, mon ami, répondait Marceline, vous ne pouvez demander à chacun de différer de tous les autres.

– Plus ils se ressemblent entre eux et plus ils diffèrent de moi.

Et puis je reprenais plus tristement :

– Aucun n’a su être malade. Ils vivent, ont l’air de vivre et de ne pas savoir qu’ils vivent. D’ailleurs, moi-même, depuis que je suis auprès d’eux, je ne vis plus. Entre autres jours, aujourd’hui, qu’ai-je fait ? J’ai dû vous quitter dès 9 heures : à peine avant de partir ai-je eu le temps de lire un peu ; c’est le seul bon moment du jour. Votre frère m’attendait chez le notaire, et après le notaire il ne m’a pas lâché ; j’ai dû voir avec lui le tapissier ; il m’a gêné chez l’ébéniste et je ne l’ai laissé que chez Gaston ; j’ai déjeuné dans le quartier avec Philippe, puis j’ai retrouvé