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emplissait de plus de langueur. Mon travail était à peu près achevé ; du moins je le disais afin d’oser mieux m’en distraire. Le temps que je ne passais plus à la ferme, je le passais auprès de Marceline. Ensemble nous sortions dans le jardin ; nous marchions lentement, elle languissamment et pesant à mon bras ; nous allions nous asseoir sur un banc, d’où l’on dominait le vallon que le soir emplissait de lumière. Elle avait une tendre façon de s’appuyer sur mon épaule ; et nous restions ainsi jusqu’au soir, sentant fondre en nous la journée, sans gestes, sans paroles… De combien de silence déjà savait s’envelopper notre amour ! C’est que déjà l’amour de Marceline était plus fort que les mots pour le dire, et que j’étais parfois presque angoissé par cet amour. Comme un souffle parfois plisse une eau très tranquille, la plus légère émotion sur son front se laissait lire ; en elle, mystérieusement, elle écoutait frémir une nouvelle vie ; je me penchais sur elle comme sur une profonde eau pure, où, si loin qu’on