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L'IMMORALISTE

d’accusation contre Michel, je n’aurais guère réussi davantage, car nul ne me sut gré de l’indignation qu’il ressentait contre mon héros ; cette indignation, il semblait qu’on la ressentit malgré moi ; de Michel elle débordait sur moi-même ; pour un peu l'on voulait me confondre avec lui.

Mais je n’ai voulu faire en ce livre non plus acte d’accusation qu’apologie, et me suis gardé de juger. Le public ne pardonne plus aujourd’hui que l’auteur, après l’action qu'il peint, ne se déclare pas pour ou contre ; bien plus, au cours même du drame on voudrait qu’il prît parti, qu’il se prononçât nettement soit pour Alceste, soit pour Philinte, pour Hamlet ou pour Ophélie, pour Faust ou pour Marguerite, pour Adam ou pour Jéhovah. Je ne prétends pas, certes, que la neutralité (j’allais dire: l’indécision) soit signe sûr d’un grand esprit ; mais je crois que maints grands esprits ont beaucoup répugné à… conclure — et que bien poser un problème n'est pas le supposer d’avance résolu.