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d’appétit, de fraîcheur. Marceline approuvait, encourageait ma fantaisie. En rentrant, encore tout guêtré, j’apportais vers le lit où elle s’attardait à m’attendre, une odeur de feuilles mouillées qui lui plaisait, me disait-elle. Et elle m’écoutait raconter notre course, l’éveil des champs, le recommencement du travail… Elle prenait autant de joie, semblait-il, à me sentir vivre, qu’à vivre. – Bientôt de cette joie aussi j’abusai ; nos promenades s’allongèrent, et parfois je ne rentrais plus que vers midi.

Cependant je réservais de mon mieux la fin du jour et la soirée à la préparation de mon cours. Mon travail avançait ; j’en étais satisfait et ne considérais pas comme impossible qu’il valût la peine plus tard de réunir mes leçons en volume. Par une sorte de réaction naturelle, tandis que ma vie s’ordonnait, se réglait et que je me plaisais autour de moi à régler et à ordonner toutes choses, je m’éprenais de plus en plus de l’éthique fruste des Goths, et tandis qu’au long de mon