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dans la vase résolument. Tout aussitôt je l’imitai.

– Eh bien ! Charles ! criai-je, avez-vous bien fait de revenir hier ?

Il ne répondit rien, mais me regarda tout riant, déjà fort occupé à sa pêche. Je l’appelai bientôt pour m’aider à cerner une grosse anguille ; nous unissions nos mains pour la saisir… Puis, après celle-là, ce fut une autre ; la vase nous éclaboussait au visage ; parfois on enfonçait brusquement et l’eau nous montait jusqu’aux cuisses ; nous fûmes bientôt tout trempés. À peine, dans l’ardeur du jeu, échangions-nous quelques cris, quelques phrases ; mais, à la fin du jour, je m’aperçus que je tutoyais Charles, sans bien savoir quand j’avais commencé. Cette action commune nous en avait appris plus l’un sur l’autre que n’aurait pu le faire une longue conversation. Marceline n’était pas encore venue et ne vint pas, mais déjà je ne regrettais plus son absence ; il me semblait qu’elle eût un peu gêné notre joie.