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cette terre, où tout s’apprête au fruit, à l’utile moisson, ne doive avoir sur moi la meilleure influence. J’admirais quel tranquille avenir promettaient ces robustes bœufs, ces vaches pleines dans ces opulentes prairies. Les pommiers en ordre plantés aux favorables penchants des collines annonçaient cet été des récoltes superbes ; je rêvais sous quelle riche charge de fruits allaient bientôt ployer leurs branches. De cette abondance ordonnée, de cet asservissement joyeux, de ces souriantes cultures, une harmonie s’établissait, non plus fortuite mais dictée, un rythme, une beauté tout à la fois humaine et naturelle, où l’on ne savait plus ce que l’on admirait, tant étaient confondus en une très parfaite entente l’éclatement fécond de la libre nature, l’effort savant de l’homme pour la régler. Que serait cet effort, pensais-je, sans la puissante sauvagerie qu’il domine ? Que serait le sauvage élan de cette sève débordante sans l’intelligent effort qui l’endigue et l’amène en riant