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d’un coup jusqu’à la mer. Nul horizon ; des bois taillis pleins de mystère ; quelques champs, mais des prés surtout, des pacages aux molles pentes, dont l’herbe épaisse est deux fois l’an fauchée, où des pommiers nombreux, quand le soleil est bas, joignent leur ombre, où paissent de libres troupeaux ; dans chaque creux, de l’eau, étang, mare ou rivière ; on entend des ruissellements continus.

Ah ! comme je reconnus bien la maison ! ses toits bleus, ses murs de briques et de pierre, ses douves, les reflets dans les dormantes eaux… C’était une vieille maison où l’on aurait logé plus de douze ; Marceline, trois domestiques, moi-même parfois y aidant, nous avions fort à faire d’en animer une partie. Notre vieux garde, qui se nommait Bocage, avait déjà fait apprêter de son mieux quelques pièces : de leur sommeil de vingt années les vieux meubles se réveillèrent ; tout était resté tel que mon souvenir le voyait, les lambris point trop délabrés, les