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de m’occuper de cette époque davantage, de me limiter pour un temps aux dernières années de l’empire des Goths, et de mettre à profit notre prochain passage à Ravenne, théâtre de son agonie.

Mais, l’avouerai-je, la figure du jeune roi Athalaric était ce qui m’y attirait le plus. J’imaginais cet enfant de quinze ans, sourdement excité par les Goths, se révolter contre sa mère Amalasonthe, regimber contre son éducation latine, rejeter la culture comme un cheval entier fait un harnais gênant, et, préférant la société des Goths impolicés à celle du trop sage et vieux Cassiodore, goûter quelques années, avec de rudes favoris de son âge, une vie violente, voluptueuse et débridée, pour mourir à dix-huit ans, tout gâté, soûlé de débauches. Je retrouvais dans ce tragique élan vers un état plus sauvage et intact quelque chose de ce que Marceline appelait en souriant « ma crise ». Je cherchais un contentement à y appliquer au moins mon esprit, puisque je n’y occupais