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péré la mienne, comme son pas eût alenti le mien. Elle me rejoindrait en voiture, à Positano, où nous devions déjeuner.

J’approchais de Positano lorsqu’un bruit de roues, formant basse à un chant bizarre, me fit tout à coup retourner. Et d’abord je ne pus rien voir, à cause d’un tournant de la route qui borde en cet endroit la falaise ; puis brusquement une voiture surgit, à l’allure désordonnée ; c’était celle de Marceline. Le cocher chantait à tue-tête, faisait de grands gestes, se dressait debout sur son siège, fouettait férocement le cheval affolé. Quelle brute ! Il passa devant moi qui n’eus que le temps de me ranger, n’arrêta pas à mon appel… Je m’élançai : mais la voiture allait trop vite. Je tremblais à la fois et d’en voir sauter brusquement Marceline, et de l’y voir rester ; un sursaut du cheval pouvait la précipiter dans la mer… Soudain le cheval s’abat. Marceline descend, veut fuir; mais déjà je suis auprès d’elle. Le cocher sitôt qu’il me voit m’accueille avec d’horribles jurons.