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ISABELLE

route était tirante ; au bas de la première côte, une pièce du harnais céda. Le cocher sortit de dessous son siège un bout de corde et se mit en posture de rafistoler le trait. J’avais mis pied à terre et m’offris à tenir la lanterne qu’il venait d’allumer ; je pus voir que la livrée du pauvre homme, non plus que le harnachement, n’en était pas à son premier rapiéçage.

— Le cuir est un peu vieux, hasardai-je. Il me regarda comme si je lui avais dit une injure, et presque brutalement :

— Dites donc : c’est tout de même heureux qu’on ait pu venir vous chercher.

— Il y a loin, d’ici le château ? questionnai-je de ma voix la plus douce. Il ne répondit pas directement, mais :

— Pour sûr qu’on ne fait pas le trajet tous les jours ! — Puis au bout d’un instant :

— Voilà peut-être bien six mois qu’elle n’est pas sortie, la calèche…

— Ah !… Vos maîtres ne se promènent pas