Page:Gide - Isabelle.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
184
ISABELLE

reconnaîtriez plus l’Isabelle du médaillon.

Déjà je reconnaissais assez mal celle dont mon imagination s’était éprise. Elle coupait ce récit d’interjections, il est vrai, récriminant contre le destin, et elle déplorait que dans ce monde la poésie et le sentiment eussent toujours tort ; mais je m’attristais de ne distinguer point dans la mélodie de sa voix les chaudes harmoniques du cœur. Pas un mot de regret que pour elle ! Quoi ! pensais-je, est-ce là comme elle savait aimer ?…

À présent je ramassais les menus objets de la corbeille renversée, qui s’étaient éparpillés sur le sol. Je ne me sentais plus aucun désir de la questionner davantage ; subitement incurieux de sa personne et de sa vie, je restais devant elle comme un enfant devant un jouet qu’il a brisé pour en découvrir le mystère ; et même l’attrait physique dont encore elle se revêtait n’éveillait plus en ma chair aucun trouble, ni le battement voluptueux de ses paupières, qui tantôt me faisait tressaillir. Nous