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ISABELLE

rebuter son amant que le suivre ; que la peur l’avait à ce point paralysée, qu’il devenait au-dessus de ses forces de retourner au pavillon ; que d’ailleurs, à cette heure du jour, ses parents redoutés la surveillaient, et que c’est pour cela qu’elle avait dû recourir à Gratien.

— Pouvais-je supposer qu’il prendrait au sérieux des paroles échappées à mon délire ? Je pensais qu’il l’écarterait seulement… J’eus un sursaut en entendant, une heure après, un coup de fusil du côté de la grille ; mais ma pensée se détourna d’une supposition horrible et que je me refusais d’envisager ; au contraire, depuis que j’avais averti Gratien, l’esprit et le cœur dégagés, je me sentais presque joyeuse… Mais quand la nuit vint, mais quand approcha l’heure qui eût dû être celle de ma fuite, ah ! malgré moi je commençai d’attendre, je recommençai d’espérer ; du moins une sorte de confiance, et que je savais mensongère, se mêlait à mon désespoir ; je ne pouvais réaliser que la lâcheté, la défaillance d’un moment