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ISABELLE

l’expression seule était brusque, mais qui depuis longtemps m’occupait ; mais à présent elle demeurait impassible et semblait résolue à ne plus écouter rien de moi. Le temps pressait. N’avais-je pas sur moi de quoi violenter son silence ? L’ardente lettre frémissait sous mes doigts. J’avais préparé je ne sais quelle histoire d’anciennes relations de ma famille avec celle de Gonfreville, pensant l’amener incidemment à parler ; mais à ce moment je ne sentis plus que l’absurdité de ce mensonge et commençai de raconter tout simplement par quel mystérieux hasard cette lettre — et je la lui tendis — était tombée entre mes mains.

— Ah ! je vous en conjure, Madame ! ne déchirez pas ce papier ! Rendez-le-moi…

Elle était devenue mortellement pâle et garda quelques instants sans la lire la lettre ouverte sur ses genoux ; le regard vague, les paupières battantes, elle murmurait :

— Oublié de la reprendre ! Comment avais-je pu l’oublier ?