Page:Gide - Isabelle.djvu/176

Cette page a été validée par deux contributeurs.
172
ISABELLE

abattu en travers de l’allée. Mon cœur battit si fort que je dus m’arrêter quelques instants ; puis, vers elle, lentement j’avançai, tranquille et indifférent promeneur.

— Excusez-moi, Madame… je suis bien ici à la Quartfourche ?

Un petit panier à ouvrage était posé sur le tronc d’arbre à côté d’elle plein de bobines, d’instruments de couture, de morceaux de crêpe enroulés sur eux-mêmes ou défaits, et elle s’occupait à en disposer quelques lambeaux sur une modeste capote de feutre qu’elle tenait à la main ; un ruban vert, que sans doute elle venait d’en arracher, traînait à terre. Un très court mantelet de drap noir couvrait ses épaules, et, quand elle leva la tête, je remarquai l’agrafe vulgaire qui en retenait le col clos. Sans doute m’avait-elle aperçu de loin, car ma voix ne parut pas la surprendre.

— Vous veniez pour acheter la propriété ? dit-elle, et sa voix que je reconnus me fit battre le cœur. Que son front découvert était beau !