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ISABELLE

suis votre sœur aînée, je vous quitte, je recommande à Dieu mes pénates, et je ne vous revois de ma vie.

J’étais comme au spectacle. Mais puisqu’elles ne se savaient pas observées, pour qui ces deux marionnettes jouaient-elles la tragédie ? Les attitudes et les gestes de la fille me paraissaient aussi exagérés, aussi faux que ceux de la mère… Celle-ci me faisait face, de sorte que je voyais de dos Isabelle qui, prosternée, gardait sa pose d’Esther suppliante ; tout à coup je remarquai ses pieds : ils étaient chaussés en pou-de-soie couleur prune, autant qu’il me sembla et que l’on en pouvait juger encore sous la couche de boue qui recouvrait les bottines ; au-dessus, un bas blanc, où le volant de la jupe, en se relevant, mouillé, fangeux, avait fait une traînée sale… Et soudain, plus haut que la déclamation de la vieille, retentit en moi tout ce que ces pauvres objets racontaient d’aventureux, de misérable. Un sanglot m’étreignit la gorge ; et je me promis.