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ISABELLE

j’avais vu sortir une foule — dès que l’obscurité s’était faite, je voyais, oui, dans l’obscurité, je voyais la poupée pâlir, frémir et prendre vie. Elle se soulevait lentement, et c’était Mademoiselle de Saint-Auréol elle-même ; elle glissait à moi sans bruit ; tout à coup je sentais autour de mon cou ses bras tièdes, et je me réveillais dans la moiteur de son haleine au moment qu’elle me disait :

— Pour eux je fais l’absente, mais pour toi je suis là.

Je ne suis ni superstitieux ni craintif ; si je rallumai ma bougie, ce fut pour chasser de mes yeux et de mon cerveau cette obsédante image ; j’y eus du mal. Malgré moi j’épiais tous les bruits. Si elle était là pourtant ! En vain je m’efforçai de lire ; je ne pouvais prêter attention à rien d’autre ; c’est en pensant à elle que je me rendormis au matin.