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ISABELLE

de table il vint à moi en souriant et me tendit une main qu’en souriant aussi je serrai.

La soirée me parut plus morne encore qu’à l’ordinaire. Le baron geignait doucement au coin du feu ; Monsieur Floche et l’abbé poussaient leurs pions sans mot dire. Du coin de l’œil je voyais Casimir, la tête enfouie dans ses mains, saliver lentement sur son livre que par instants il épongeait d’un coup de mouchoir. Je ne prêtais à la partie de bésigue que ce qu’il fallait d’attention pour ne pas faire perdre trop ignominieusement ma partenaire ; Madame Floche s’apercevait et s’inquiétait de mon ennui ; elle faisait de grands efforts pour animer un peu la partie :

— Allons, Olympe ! c’est à vous de jouer. Vous dormez ?

Non ce n’était pas le sommeil, mais la mort dont je sentais déjà le ténébreux engourdissement glacer mes hôtes ; et moi-même, une angoisse, une sorte d’horreur, m’étreignait. Ô printemps ! ô vents du large, parfums volup-