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ISABELLE

se gâta. Sans doute restions-nous passablement exaltés l’un et l’autre par l’étrangeté de l’aventure ; mais chacun très différemment ; moi, vite désarmé par la complaisance souriante que l’abbé finalement avait mise à me renseigner, déjà j’oubliais sa soutane, ma retenue, je me laissais aller à lui parler comme à un homme. Voici je crois comment la brouille commença :

— Qui nous racontera, disais-je, ce que fit Mademoiselle de Saint-Auréol cette nuit-là ! Sans doute elle n’apprit que le lendemain la mort du comte ? L’attendit-elle, et jusqu’à quand, dans le jardin ? Que pensait-elle en ne le voyant pas venir ?

L’abbé se taisait, complètement insensible à mon lyrisme psychologique ; je reprenais :

— Imaginez cette délicate jeune fille, le cœur lourd d’amour et d’ennui, la tête folle : Isabelle la passionnée…

— Isabelle la dévergondée, soufflait l’abbé à demi-voix.