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ISABELLE

Par grand effort de volonté je gardais un ton enjoué, mais mon cœur battait fort.

— Tenez : lisez-la devant moi, dis-je en tirant la lettre de ma poche ; je veux apprendre de quel œil un abbé lit une lettre d’amour.

Mais, de nouveau maître de lui, il ne laissait paraître son émotion qu’à l’irrépressible titillement d’un petit muscle de sa joue. Il lut ; puis huma le papier, renifla, en fronçant âprement les sourcils de manière qu’il semblait que ses yeux s’indignassent de la gourmandise de son nez ; puis repliant le papier et me le rendant, dit d’un ton un peu solennel :

— Ce même 22 octobre mourait le Vicomte Blaise de Gonfreville, victime d’un accident de chasse.

— Vous me faites frémir ! (mon imagination aussitôt construisait un drame épouvantable). Sachez que j’ai trouvé cette lettre derrière une boiserie du pavillon où certainement il eût dû venir la chercher.