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ISABELLE

transposition abstraite : on constate, on n’est plus ému ; et l’effort désespéré pour crever l’écran isolateur de l’âme nous mènerait à tous les crimes, au meurtre ou au suicide, à la folie…

Ainsi rêvais-je en écoutant ruisseler la pluie. Je gardais à la main le canif que j’avais ouvert pour tailler mon crayon, mais la feuille de mon carnet restait vide ; à présent, de la pointe de ce canif, sur le panneau voisin je tâchais de sculpter son nom ; sans conviction, mais parce que je savais que les amants transis ont accoutumé d’ainsi faire ; à tout instant le bois pourri cédait ; un trou venait en place de la lettre ; bientôt, sans plus d’application, par désœuvrement, imbécile besoin de détruire, je commençai de taillader au hasard. Le lambris que j’abîmais se trouvait immédiatement sous la fenêtre ; le cadre en était disjoint à la partie supérieure, de sorte que le panneau tout entier pouvait glisser de bas en haut dans les rainures latérales ; c’est ce que je remarquai lorsque l’effort de mon couteau inopinément le souleva.