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nière interprétation qu’incline son biographe, Mme Hoffmann.

La première lettre de Dostoïevsky que nous connaissons après son élargissement et son enrôlement dans le 7e bataillon d’infanterie du corps de Sibérie, est du 27 mars 1854. Elle ne figure pas dans la traduction de M. Bienstock. Nous y lisons :

Envoie-moi… pas de journaux, mais des historiens européens. Économistes. Pères de l’Église. Les anciens autant que possible : Hérodote, Thucydide, Tacite, Pline, Flavius, Plutarque, Diodore, etc., traduits en français. Puis le Coran et un dictionnaire allemand. Naturellement tout cela pas en une seule fois ; mais enfin ce que tu pourras. Envoie-moi aussi la Physique de Pissaren et un traité de physiologie, n’importe lequel, français, s’il doit être meilleur qu’en russe. Tout cela dans les éditions les moins coûteuses. Tout cela, pas en une fois ; mais lentement, un livre après l’autre. Si peu que tu fasses, je te serai reconnaissant. Comprends donc combien j’ai besoin de cette nourriture intellectuelle…

Tu connais à présent mes principales occupations, écrit-il un peu plus tard. À vrai dire, je n’en ai pas d’autres que celles du service. Pas d’événements extérieurs, pas de troubles dans ma vie, pas d’accidents. Mais ce qui se passe dans l’âme, dans le cœur, dans l’esprit, ce qui a poussé, ce qui a mûri, ce qui s’est flétri, ce qui a été rejeté en même temps que l’ivraie, cela ne se dit pas et ne se raconte pas sur un bout de papier. Je vis ici dans l’isolement : je me cache, comme d’habitude. D’ailleurs, pendant cinq ans,