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leur vie et puis me vanter de les bien connaître.

Que d’histoires d’aventuriers et de brigands j’ai recueillies ! Je pourrais en faire des volumes. Quel peuple extraordinaire ! Je n’ai pas perdu mon temps ; si je n’ai pas étudié la Russie, je sais par cœur le peuple russe ; bien peu le connaissent comme moi… Je crois que je me vante. C’est pardonnable, n’est-ce pas ?

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Envoie-moi le Coran, Kant (Critique de la raison pure), Hegel, surtout son Histoire de la philosophie. Mon avenir dépend de tous ces livres. Mais surtout remue-toi pour m’obtenir d’être transféré au Caucase. Demande à des gens bien informés où Je pourrais publier mes livres et quelles démarches il faudrait faire. D’ailleurs je ne compte rien publier avant deux ou trois ans. Mais d’ici là, aide-moi à vivre, je t’en conjure ! Si je n’ai pas un peu d’argent, je serai tué par le service ! Je compte sur toi !

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Maintenant je vais écrire des romans et des drames. Mais j’ai encore à lire beaucoup, beaucoup ; ne m’oublie donc pas !

Encore une fois adieu.

Th. D.

Cette lettre resta sans réponse, comme tant d’autres. Il appert que Theodor Michaïlovitch resta sans nouvelles des siens durant toute sa captivité, ou presque toute. Faut-il croire, de la part de son frère, à de la prudence, à la crainte de se compromettre, à de l’indifférence peut-être ? Je ne sais… C’est vers cette der-