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nant tes affaires ? Réussis-tu ? As-tu déjà quelque chose ? Enfin pourras-tu m’aider pécuniairement et de combien pourras-tu m’aider par an ? Ne m’envoie l’argent dans la lettre officielle que si je ne trouve pas d’autre adresse ; en tout cas, signe toujours Mikhaïl Petrovitch (tu comprends ?). Mais j’ai encore un peu d’argent ; en revanche, je n’ai pas de livres. Si tu peux, envoie-moi les revues de cette année, par exemple les Annales de la patrie.

Mais voici le plus important : il me faut (à tout prix) les historiens antiques (traduction française) et les nouveaux ; quelques économistes et les Pères de l’Église. Choisis les éditions les moins coûteuses et les plus compactes. Envoie immédiatement.

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Ce sont des gens simples, me dira-t-on pour m’encourager. Mais un homme simple est bien plus à craindre qu’un homme compliqué.

D’ailleurs les hommes sont partout les mêmes. Aux travaux forcés, parmi des brigands, j’ai fini par découvrir des hommes, des hommes véritables, des caractères profonds, puissants, beaux. De l’or sous de l’ordure. Il y en avait qui, par certains aspects de leur nature, forçaient l’estime ; d’autres étaient beaux tout entiers, absolument. J’ai appris à lire à un jeune Tcherky envoyé au bagne pour brigandage ; je lui ai même enseigné le russe. De quelle reconnaissance il m’entourait ! Un autre forçat pleurait en me quittant ; je lui ai donné de l’argent, très peu, il m’en a une gratitude sans bornes. Et pourtant mon caractère s’était aigri ; j’étais avec eux capricieux, inconstant ; mais ils avaient égard à l’état de mon esprit et supportaient tout de moi, sans murmurer. Et que de types merveilleux j’ai pu observer au bagne ! J’ai vécu de