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dans une gêne stérilisante, et tu auras le bilan de ma vie.

Ce qu’il est advenu de mon âme et de mes croyances, de mon esprit et de mon cœur, durant ces quatre ans, je ne te le dirai pas, ce serait trop long. La constante méditation où je fuyais l’amère réalité n’aura pas été inutile. J’ai maintenant des désirs, des espérances qu’auparavant je ne prévoyais même pas. Mais ce ne sont encore que des hypothèses ; donc passons. Seulement toi, ne m’oublie pas, aide-moi ! Il me faut des livres, de l’argent : fais-m’en parvenir, au nom du Christ !

Omsk est une petite ville, presque sans arbres ; une chaleur excessive, du vent et de la poussière en été, en hiver, un vent glacial. Je n’ai pas vu la campagne. La ville est sale, soldatesque et par conséquent débauchée au plus haut point (je parle du peuple). Si je n’avais pas rencontré des âmes sympathiques, je crois que j’aurais été perdu. Konstantin Ivonitch Ivanor a été un frère pour moi. Il m’a rendu tous les bons offices possibles. Je lui dois de l’argent. S’il vient à Pétersbourg, remercie-le. Je lui dois vingt-cinq roubles. Mais comment payer cette cordialité, cette constante disposition à réaliser chacun de mes désirs, ces attentions, ces soins ?… Et il n’était pas le seul ! Frère, il y a beaucoup d’âmes nobles dans le monde.

Je t’ai déjà dit que ton silence m’a bien tourmenté. Mais je te remercie pour l’envoi d’argent. Dans ta plus prochaine lettre (même dans la lettre officielle, car je ne suis pas encore sûr de pouvoir te donner une autre adresse), donne-moi des détails sur toi, sur Émilia Theodovna, les enfants, les parents, les amis, nos connaissances de Moscou, qui vit, qui est mort. Parle-moi de ton commerce : avec quel capital fais-tu mainte-