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Trois jours, après nous arrivions à Omsk.

Déjà à Tobolsk, j’avais appris quels devaient être nos chefs immédiats. Le commandant était un homme très honnête. Mais le major de place de Krivtsov était un gredin comme il y en a peu, barbare, maniaque, querelleur, ivrogne, en un mot tout ce qu’on peut imaginer de plus vil.

Le jour même de notre arrivée, il nous traita de sots, Dourov et moi, à cause du motif de notre condamnation, et jura qu’à la première infraction il nous ferait infliger un châtiment corporel. Il était major de place depuis deux ans et commettait au su et au vu de tous des injustices criantes. Il passa en justice deux ans plus tard. Dieu m’a préservé de cette brute ! Il arrivait toujours ivre (je ne l’ai jamais vu autrement), cherchait querelle aux condamnés et les frappait sous prétexte qu’il était « saoul à tout casser ». D’autres fois, pendant sa visite de nuit, parce qu’un homme dormait sur le côté droit, parce qu’un autre parlait en rêvant, enfin pour tous les prétextes qui lui passaient par la tête, nouvelle distribution de coups ; et c’était avec un tel homme qu’il nous fallait vivre sans attirer sa colère ! et cet homme adressait tous les mois des rapports sur nous à Saint-Pétersbourg.

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J’ai passé ces quatre ans derrière un mur, ne sortant que pour être mené aux travaux. Le travail était dur ! Il m’est arrivé de travailler épuisé déjà, pendant le mauvais temps, sous la pluie dans la boue, ou bien pendant le froid intolérable de l’hiver. Une fois, je suis resté quatre heures à exécuter un travail supplémentaire : le mercure était pris ; il y avait plus de 40 degrés de froid. J’ai eu un pied gelé.

Nous vivions en tas, tous ensemble, dans la même caserne. Imagine-toi un vieux bâtiment