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que douze lettres, et, je ne sais pourquoi, pas l’admirable lettre du 22 février 1854, dont une traduction parut en 1886 dans les numéros 12 et 13 (aujourd’hui introuvables) de la Vogue et que redonne la Nouvelle Revue française dans son numéro du 1er février de cette année. Précisément parce qu’elle ne se trouve pas dans le volume de sa Correspondance, permettez-moi de vous en lire de longs passages :

Le 22 février 1854.

Je puis enfin causer avec toi plus longuement, plus sûrement aussi, il me semble. Mais avant tout, laisse-moi te demander au nom de Dieu pourquoi tu ne m’as pas encore écrit une seule ligne. Je n’aurais jamais cru cela ! Combien de fois, dans ma prison, dans ma solitude, ai-je senti le véritable désespoir en pensant que peut-être, tu n’existais plus : et je réfléchissais durant des nuits entières au sort de tes enfants, et je maudissais la destinée qui ne me permettait pas de leur venir en aide.

Ainsi ce dont il souffre le plus, ce n’est peut-être point de se sentir abandonné ; c’est de ne pouvoir venir en aide.

Comment t’exprimer tout ce que j’ai dans la tête ? Te faire comprendre ma vie ; les convictions que j’ai acquises, mes occupations durant ce temps, ce n’est pas possible. Je n’aime pas à faire les choses à moitié : ne dire qu’une partie de la vérité, c’est ne rien dire. Voici du moins l’essence de cette vérité : tu l’auras tout entière, si tu sais