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Je vous lirai presque en entier sa courte lettre du 22 décembre :

Aujourd’hui, 22 décembre, on nous a conduits à la place Semionovsky. Là, on nous a lu à tous l’arrêt de mort, on nous a fait baiser la croix, on a brisé des épées au-dessus de nos têtes, et on nous a fait notre suprême toilette (des chemises blanches). Ensuite, on a placé trois de nous à des poteaux pour l’exécution. Moi, j’étais le sixième, on appelait trois par trois ; j’étais donc dans la deuxième série et je n’avais plus que quelques instants à vivre. Je me suis souvenu de toi, frère, de tous les tiens ; au dernier moment, c’était toi seul qui étais dans ma pensée ; j’ai compris alors combien je t’aimais, mon frère chéri ! J’ai eu le temps d’embrasser Plestchéev, Dourov, qui étaient à mes côtés, et de leur faire mes adieux. Enfin on a sonné la retraite, on a ramené ceux qui étaient attachés aux poteaux et on nous a lu que Sa Majesté Impériale nous accordait la vie.

Nous retrouverons à plus d’une reprise, dans les romans de Dostoïevsky, des allusions plus ou moins directes à la peine de mort et aux derniers instants des condamnés. Je ne puis m’y attarder pour le moment.

Avant le départ pour Semipalatinsk, on lui laissa une demi-heure pour prendre congé de son frère. Il fut le plus calme des deux nous rapporte un ami, et dit à son frère :

Au bagne, mon ami, ce ne sont pas des animaux sauvages, mais bien des hommes, meilleurs que moi peut-être, peut-être plus méritants… Eh oui ! nous nous verrons encore ; je l’espère, je n’en doute