Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S’il avait été philosophe au lieu d’être romancier, il aurait certainement essayé de mettre ses idées au pas et nous y aurions perdu le meilleur.

Les événements de la vie de Dostoïevsky, si tragiques qu’ils soient, restent des événements de surface. Les passions qui le bouleversent semblent l’agiter profondément ; mais il reste toujours, par delà, une région que les événements, les passions mêmes n’atteignent pas. À ce sujet, une petite phrase de lui nous paraîtra révélatrice, si nous la rapprochons d’un autre texte :

Aucun homme, écrit-il dans la Maison des morts, aucun homme ne vit sans un but quelconque et sans un effort pour atteindre ce but. Une fois que le but et l’espérance ont disparu, l’angoisse fait souvent de l’homme un monstre…

Mais en ce temps, il semble se méprendre encore sur ce but, car tout de suite après, il ajoute :

Notre but à tous était la liberté et la sortie de la maison de force[1].

Cela est écrit en 1861. Voici donc ce qu’il entendait alors par un but. Certes, il souffrait de cette captivité épouvantable. (Il a fait quatre ans de Sibérie et six ans de service obligatoire.) Il souffrait ; mais, dès qu’il fut de nouveau

  1. P. 303.