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de sa vie qui nous révéleront son caractère, et nous permettront de dessiner sa figure.

La biographie que je préparais avant la guerre, je me proposais de la faire précéder d’une introduction, où j’eusse examiné d’abord l’idée que l’on se fait communément du grand homme. J’eusse, pour éclairer cette idée, rapproché Dostoïevsky de Rousseau, rapprochement qui n’eût pas été arbitraire : leurs deux natures présentent en effet de profondes analogies — qui ont permis aux Confessions de Rousseau d’exercer sûr Dostoïevsky une extraordinaire influence. Mais il me paraît que Rousseau a été dès le début de sa vie, comme empoisonné par Plutarque. À travers lui, Rousseau s’était fait du grand homme une représentation un peu déclamatoire et pompeuse. Il plaçait devant lui la statue d’un héros imaginaire, à laquelle il s’efforça, toute sa vie, de ressembler. Il tâchait d’être ce qu’il voulait paraître. Je consens que la peinture qu’il fait de lui soit sincère ; mais il songe à son attitude et c’est l’orgueil qui la lui dicte.

La fausse grandeur, dit admirablement La Bruyère, est farouche et inaccessible : comme elle sent son faible, elle se cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir qu’autant qu’il faut pour imposer et ne paraître point ce qu’elle est, je veux dire une vraie petitesse.

Et si je ne consens tout de même pas à reconnaître ici Rousseau, par contre, c’est à Dos-