Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bier. Je ressortis ma liasse de notes ; il me parut, en les relisant à distance, que les idées que j’y avais consignées méritaient de nous retenir ; mais que, pour les exposer, l’ordre chronologique, auquel m’obligerait une biographie, n’était peut-être pas le meilleur. Ces idées, dont Dostoïevsky, dans chacun de ses grands livres, forme comme une tresse épaisse, il est souvent malaisé d’en démêler l’embrouillement ; mais de livre en livre, nous les retrouvons ; ce sont elles qui m’importent et d’autant plus que je les fais miennes. Si je prenais l’un après l’autre chacun de ces livres, je ne pourrais éviter les redites, mieux vaut procéder autrement ; poursuivant de livre en livre ces idées, je tâcherai de les dégager, de m’en saisir et de vous les exposer aussitôt le plus clairement que me permettra leur apparente confusion. Idées de psychologue, de sociologue, de moraliste, car Dostoïevsky est à la fois tout cela, — tout en demeurant avant tout un romancier. Ce sont elles qui feront l’objet de ces entretiens. Mais, comme les idées ne se présentent jamais, dans l’œuvre de Dostoïevsky, à l’état brut, mais restent toujours en fonction des personnages qui les expriment (et de là précisément leur confusion et leur relativité) ; comme d’autre part j’ai souci d’éviter moi-même l’abstraction et de donner à ces idées le plus de relief possible, je voudrais tout d’abord vous présenter la personne de Dostoïevsky, vous parler des quelques événements