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à y donner un assentiment total. — nous sentons qu’il vient de toucher quelque point secret « qui appartient à notre vie véritable ». Et je crois que nous trouverons ici l’explication de ce refus de certaines intelligences devant le génie de Dostoïevsky, au nom de la culture occidentale. Car je remarque aussitôt que dans toute notre littérature occidentale et je ne parle pas de la française seulement, le roman, à part de très rares exceptions, ne s’occupe que des relations des hommes entre eux, rapports passionnels ou intellectuels, rapports de famille, de société, de classes sociales, — mais jamais, presque jamais, des rapports de l’individu avec lui-même ou avec Dieu, — qui priment ici tous les autres. Je crois que rien ne fera mieux comprendre ce que je veux dire que ce mot d’un Russe que rapporte Mme Hoffmann dans sa biographie de Dostoïevsky (la meilleure et de beaucoup, que je connaisse — mais qui n’est pas traduite, malheureusement), mot par lequel elle prétend précisément nous faire sentir une des particularités de l’âme russe. Ce Russe donc, à qui l’on reprochait son inexactitude, ripostait très sérieusement : « Oui, la vie est difficile ! Il y a des instants qui demandent à être vécus correctement, ce qui est bien plus important que le fait d’être en retard à un rendez-vous. » La vie intime est ici plus importante que les rapports des hommes entre eux. C’est bien là, ne croyez-vous pas, le secret de Dostoïevsky, ce qui tout