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existant que ces significatives figures ; pas un instant elles n’échappent à leur pressante réalité.

Il s’agit de savoir, aujourd’hui qu’on les porte sur le théâtre (et de toutes les créations de l’imagination ou de tous les héros de l’histoire, il n’en est point qui méritent davantage d’y monter), il s’agit de savoir si nous reconnaîtrons leurs voix déconcertantes à travers les intonations concertées des acteurs.

Il s’agit de savoir si l’auteur de l’adaptation saura nous présenter, sans les dénaturer trop, les événements nécessaires à l’intrigue où s’affrontent ces personnages. Je le tiens pour intelligent à l’excès, et habile ; il a compris, j’en suis certain, que, pour répondre aux exigences de la scène, il ne suffit point de découper, selon la méthode ordinaire, et de servir tout crus les épisodes les plus marquants du roman, mais bien de ressaisir le livre à l’origine, de le recomposer et réduire, de disposer ses éléments en vue d’une perspective différente.

Il s’agit enfin de savoir si consentiront de les regarder avec une attention suffisante ceux des spectateurs qui n’auront pas déjà pénétré dans l’intimité de cette œuvré. Sans doute n’auront-ils pas cette « présomption extraordinaire, cette ignorance phénoménale » que Dostoïevsky déplorait de rencontrer chez les