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public n’était point mûr encore pour supporter une traduction intégrale d’un chef-d’œuvre aussi foisonnant ; je ne lui reprocherai donc que de ne point s’avouer incomplète.

Il y a quatre ans parut la nouvelle traduction de MM. Bienstock et Nau. Elle offrait ce grand avantage de présenter, en un volume plus serré, l’économie générale du livre ; je veux dire qu’elle restituait en leur place les parties que les premiers traducteurs en avait d’abord éliminées ; mais, par une systématique condensation, et j’allais dire congélation de chaque chapitre, ils dépouillaient les dialogues de leur balbutiement et de leur frémissement pathétiques, ils sautaient le tiers des phrases, souvent des paragraphes entiers, et des plus significatifs. Le résultat est net, abrupt, sans ombre, comme serait une gravure sur zinc, ou mieux un dessin au trait d’après un profond portrait de Rembrandt. Quelle vertu n’est donc point celle de ce livre pour demeurer, malgré tant de dégradations, admirable ! Livre qui put attendre son heure patiemment, comme patiemment ont attendu leur heure ceux de Stendhal ; livre dont l’heure enfin semble venue.

En Allemagne, les traductions de Dostoïevsky se succèdent, chacune renchérissant sur la précédente en exactitude scrupuleuse et en vigueur. L’Angleterre, plus revêche et lente à s’émouvoir, prend souci de ne rester point en arrière. Dans le New Age du 23 mars dernier,