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dans celle de Rembrandt ou de Beethoven à qui je me plais à le comparer ; une sûre et violente aggravation de la pensée.

Sans complaisance aucune envers soi-même, insatisfait sans cesse, exigeant jusqu’à l’impossible, — pleinement conscient pourtant de sa valeur, — devant que d’aborder les Karamazov, un secret tressaillement de joie l’avertit : il tient enfin un sujet à sa taille, à la taille de son génie.

Il m’est rarement arrivé, écrit-il, d’avoir à dire quelque chose de plus neuf, de plus complet, de plus original.

C’est ce livre qui fut le livre de chevet de Tolstoï à son lit de mort.

Effrayés par son étendue, les premiers traducteurs ne nous donnèrent de ce livre incomparable qu’une version mutilée ; sous prétexte d’unité extérieure, des chapitres entiers, de-ci de-là, furent amputés, — qui suffirent à former un volume supplémentaire paru sous ce titre : les Précoces. Par précaution, le nom de Karamazov y fut changé en celui de Chestomazov, de manière à achever de dérouter le lecteur. Cette traduction était d’ailleurs fort bonne dans tout ce qu’elle consentait à traduire, et je continue de la préférer à celle qui nous fut donnée depuis. Peut-être certains, se rapportant à l’époque où elle parut, estimeront-ils que le