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d’un homme de lettres, qui ne parut que de manière intermittente. « Je vous avoue, écrit-il au célèbre Aksakov, en novembre 1880, c’est-à-dire trois mois avant sa mort — je vous avoue, en ami, qu’ayant l’intention d’entreprendre dès l’année prochaine l’édition du Journal, j’ai souvent et longuement prié Dieu, à genoux, pour qu’il me donne un cœur pur, une parole pure, sans péché, sans envie, et incapable d’irriter. »

Dans ce JournalM. de Vogüé ne savait voir que des « hymnes obscurs, échappant à l’analyse comme à la controverse », le peuple russe heureusement distinguait autre chose et Dostoïevsky put, autour de son œuvre, sentir se réaliser à peu près ce rêve d’unité des esprits, sans unification arbitraire.

À la nouvelle de sa mort, cette communion et confusion des esprits se manifesta de manière éclatante, et si d’abord « les éléments subversifs projetèrent d’accaparer son cadavre », on vit bientôt, « par une de ces fusions inattendues dont la Russie a le secret, quand une idée nationale l’échauffe, tous les partis, tous les adversaires, tous les lambeaux disjoints de l’empire rattachés par ce mort dans une communion d’enthousiasme ». La phrase est de M. de Vogüé, et je suis heureux, après toutes les réserves que j’ai faites sur son étude, de pouvoir citer ces nobles paroles. « Comme on disait des anciens tsars qu’ils « rassemblaient » la terre russe, écrit-il plus loin, ce roi de