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que, pour ne comprendre qu’une des faces de cette question vitale, les partis opposés restent également distants de la vérité. Qu’on me permette encore une citation ; elle éclairera sans doute mieux la position de Dostoïevsky qu’un commentaire ne pourrait faire[1] : « Faut-il donc être impersonnel pour être heureux ? Le salut est-il dans l’effacement ? Bien au contraire, dis-je, non seulement il ne faudrait pas s’effacer, mais il faudrait encore devenir une personnalité, même à un degré supérieur qu’on ne le devient dans l’Occident. Comprenez-moi : le sacrifice volontaire, en pleine conscience et libre de toute contrainte, le sacrifice de soi-même au profit de tous, est selon moi l’indice du plus grand développement de la personnalité, de sa supériorité, d’une possession parfaite de soi-même, du plus grand libre arbitre… Une personnalité fortement développée, tout à fait convaincue de son droit d’être une personnalité, ne craignant plus pour elle-même, ne peut rien faire d’elle-même, c’est-à-dire ne peut servir à aucun autre usage que de se sacrifier aux autres, afin que tous les autres deviennent exactement de pareilles personnalités arbitraires et heureuses. C’est la loi de la nature : l’homme normal tend à l’atteindre. »

Cette solution, le Christ la lui enseigne ;

  1. Je l’extrais d’un « Essai sur la bourgeoisie, chapitre d’un Voyage à l’étranger, que M. Bienstock a fort bien fait de publier avec la traduction de cette correspondance.