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catholique romain ; libéral, mais non « progressiste », Dostoïevsky reste celui dont on ne sait comment se servir. On trouve en lui de quoi mécontenter chaque parti. Car il ne se persuada jamais qu’il eût trop de toute son intelligence pour le rôle qu’il assumait — ou qu’en vue de fins immédiates, il eût le droit d’incliner, de fausser cet instrument infiniment délicat. « À propos de toutes ces tendances possibles, écrit-il, — et les mots sont soulignés par lui, — qui se sont confondues en un souhait de bienvenue pour moi (9 avril 1876), j’aurais voulu écrire un article sur l’impression causée par ces lettres… Mais, ayant réfléchi à cet article, je me suis soudain aperçu qu’il était impossible de l’écrire en toute sincérité ; alors, s’il n’y a pas de sincérité, est-ce que cela vaut la peine de l’écrire ? » Que veut-il dire ? Sans doute ceci : que pour écrire cet article opportun d’une manière qui plaise à tous et en assure le succès, il lui faudrait forcer sa pensée, la simplifier outre mesure, pousser enfin ses convictions au delà de leur naturel. C’est là ce qu’il ne peut consentir.

Par un individualisme sans dureté et qui se confond avec la simple probité de pensée, il ne consent à présenter cette pensée qu’en son intégrité complexe. Et son insuccès parmi nous n’a pas de plus forte ni de plus secrète raison.

Et je ne prétends pas insinuer que les grandes convictions emportent d’ordinaire avec elles