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est un des dons les plus grands et les plus nobles de la nature. Et d’ailleurs Dostoïevsky ne semblait-il pas prévoir l’aveuglement jusqu’où devait nous entraîner cette doctrine : « Il est impossible de détromper le Français et de l’empêcher de se croire le premier homme de l’univers. D’ailleurs, il ne sait que très peu de l’univers… De plus il ne tient pas à savoir. C’est un trait commun à toute la nation et très caractéristique. »

Il se sépare plus nettement, plus heureusement encore, de Barrès, par son individualisme. Et, en regard de Nietzsche, il nous devient un admirable exemple pour montrer de combien peu d’infatuation, de suffisance, s’accompagne parfois de cette croyance en la valeur du moi. Il écrit : « Le plus difficile dans ce monde, c’est de rester soi-même » ; « et, « il ne faut gâcher sa vie pour aucun but » ; car pour lui, non plus que sans patriotisme, sans individualisme il n’est nul moyen de servir l’humanité. Si quelques barrésistes lui étaient acquis par les déclarations que je citais tout à l’heure, quel barrésiste les déclarations que voici ne lui alièneraient-elles pas ?

De même, en lisant ces paroles : « Dans l’humanité nouvelle, l’idée esthétique est troublée. La base morale de la société, prise dans le positivisme, non seulement ne donne pas de résultats, mais ne peut pas se définir elle-même,