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cinent les Russes », et n’attend pas Barrès pour mettre en garde l’étudiant qui, en « s’arrachant à la société et en l’abandonnant, ne va pas au peuple, mais quelque part, à l’étranger, dans l’européisme, dans le règne absolu de l’homme universel qui n’a jamais existé et, de cette façon, rompt avec le peuple, le méprise et le méconnaît. » Tout comme Barrès à propos du « kantisme malsain », il écrit, dans la préface de la revue qu’il dirige[1] : « Quelque fertile que soit une idée importée de l’étranger, elle ne pourra prendre racine chez nous, s’acclimater et nous être réellement utile que si notre vie nationale, sans aucune inspiration et poussée du dehors, faisait surgir d’elle-même cette idée naturellement, pratiquement, par suite de sa nécessité, de son besoin reconnu pratiquement par tous… Aucune nation du monde, aucune société plus ou moins stable ne s’est formée sur un programme de commande, importé du dehors… » Et je ne connais pas dans Barrès déclaration plus catégorique ni plus pressante.

Mais tout à côté voici ce que je regrette de ne point trouver chez Barrès : La capacité de s’arracher pour un moment de son sol afin de se regarder sans parti pris est l’indice d’une très forte personnalité, en même temps que la capacité de regarder l’étranger avec bienveillance

  1. Préface à la revue l’Époque, donnée par Bienstock en supplément à la correspondance.